samedi 5 novembre 2022

Mer Égée ou le trou du cul de la mort - Jazra Khaleed



la mer égée est une bombe sanitaire
prostituées séropositives
enfants au ventre ballonné
musulmans tuberculeux
mérous atteints de gingivite (ou sur la braise

sur l’île « accueil des immigrés clandestins » le maire est homme
d’affaires, le pope est homme d’affaires, le flic est homme
d’affaires, le partisan d’aube dorée est homme d’affaires,
l’homme d’affaires est homme d’affaires, le mérou est homme
d’affaires (tous quelque peu hommes d’affaires fascistes

28e méridien (le rude
27e méridien (terre en vue
26e méridien (récif !
25e méridien (le caïque prend l’eau

24e méridien et 36e parallèle à l’intersection (par le fond
sur l’île « noyez les syriens » chaque village est aussi un cas
de constipation, chaque camp de concentration est aussi une
occasion de barbecue, chaque lieu de détention est aussi un
espace de gymnastique, la liberté n’est rien d’autre qu’une
erreur de traduction (le mérou ne parle que le turc

le caïque transportait 60 personnes
30 hommes
26 enfants
la destination finale était la grande-bretagne
(quelque chose ne va pas mathématiquement parlant

sur l’île « nous téléportons les immigrés clandestins vers l’infini »
les garde-côtes font l’autruche, la gauche fait l’autruche,
l’autruche fait l’autruche, les fascistes mangent l’autruche, les
flics font des bisous, les poissons mangent des petits pakistanais
(on ne peut accuser un mérou de racisme

les camps de l’armée deviennent des lieux d’accueil
les hangars deviennent des lieux d’accueil
les gymnases deviennent des lieux d’accueil
les discothèques deviennent des lieux d’accueil
l’accueil devient un travail non rémunéré)

sur l’île « nous vous défoncerons le cul » quiconque ne bouge
pas son cul de facho ne mange pas de poisson, les gros bonnets
du coin orchestrent le flux migratoire ; ils plongent le mérou
dans le sang, pour les beaux yeux de frontex ils hachent menu
du persil, les commandos de marine goûtent les katades, sirop
sueur des immigrés)

en mer égée
les grecs
accueillent
hébergent
rapatrient
entre-temps
ils baisent
vendent
torturent
puis s’agenouillent devant la croix
(sur le clou ils embrochent le mérou

en mer égée au troisième jour le fasciste et le poisson empestent
 
Traduit par Phonie-Graphie et Panos Angelopoulos
Extrait de  Requiem pour Homs et autres poèmes
 

 
https://www.margesenpages.com/requiem-pour-homs
 
...
 

Jazra Khaleed est poète, traducteur, cinéaste et éditeur.

Né en 1979 à Grozny, en Tchétchénie, il est citoyen grec et vit aujourd’hui dans le quartier Exarcheia à Athènes.

Ses poèmes ont été traduits et publiés en Europe, aux États-Unis, en Australie et en Asie dans des magazines prestigieux tels que World Literature Today, Modern Poetry in Translation, Westerly, Poetry International, The Guardian, The Los Angeles Review of Books, Lichtungen, Glänta, die horen, manuskripte.
Ses publications les plus récentes sont The Light That Burns Us (World Poetry Books, USA, 2021) et μα είν’ αυτό ποίηση; (Mais est-ce de la poésie ? Teflon Books, Grèce, 2020).

 

En juin 2014, son projet/performance avec Timos Alexandropoulos "Poetry Is Just Words in the Wrong Order" a remporté le SOUNDOUT!, prix international des nouvelles manières de présenter la littérature à Berlin. La même année, il a coécrit le scénario et coproduit le court métrage La mer Égée ou le trou du cul de la mort (réalisé par Eleni Gioti) basé sur son poème du même nom. Ce court métrage a été récompensé par le prix Zebra Poetry Film Festival (Berlin), le Festival des cinémas différents et expérimentaux (Paris), et le Balkans Beyond Borders Short Film Festival (Sarajevo, Bosnie-Herzégovine).
 

Jazra est cofondateur et rédacteur en chef de la revue littéraire athénienne Teflon, dans laquelle on peut lire de la poésie, des essais, des traductions de poètes du monde entier. Il a lui-même traduit et présenté des poèmes d’Amiri Baraka, Elfriede Jelinek, Bert Papenfuss, Keston Sutherland, Lionel Fogarty, Barbara Köhler, Ann Cotten, ainsi que de nombreux autres poètes politiques et expérimentaux. Pour la revue Teflon, il écrit également des essais sur la poésie aborigène australienne, la poésie d’avant-garde de l’Allemagne de l’Est et celle du hip-hop.

Dans ses poèmes Jazra proteste contre la guerre, le fascisme, les injustices sociales, la brutalité policière, le racisme, le sexisme et les conditions de vie indigentes des migrants en Grèce. La poésie, qu’il écrit et interprète, est une poésie de performance, une véritable prouesse technique qui porte autant sur la syntaxe que sur le rythme. C’est à la fois un acte de mémorisation et une arme qui donne la parole aux opprimés. C’est une poésie politique, radicale, ardente qui combat la propagande, les discours réactionnaires et fascistes.

 

https://jazrakhaleed.com/ 

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 merci à la revue un rectancle quelconque n°1 avril 2019 pour la découverte 

et à Jazra Khaleed.

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